Si vous parlez une langue étrangère couramment et que vous l’utilisez dans le cadre professionnel, vous aurez peut-être remarqué quelques différences lorsque vous communiquez dans votre langue maternelle (L1) et lorsque vous vous exprimez dans cette autre langue (L2 ou L3). Pourquoi vous entendez-vous mieux avec vos clients allemands qu’avec vos clients français ? Pourquoi manquez-vous d’assurance lorsque vous vous exprimez en anglais ?

Rassurez-vous, votre personnalité ne change pas vraiment d’une langue à une autre.

Ce phénomène est quelque peu complexe et les raisons l’expliquant peuvent varier. Cela peut dépendre de votre expérience de la langue apprise mais également d’un grand nombre de facteurs culturels. Afin d’expliquer les différences comportementales pouvant survenir lors de la pratique d’une langue étrangère, nous nous appuierons sur des exemples tirés de la vie professionnelle de plusieurs personnes qui travaillent dans la traduction.

 

L’expérience personnelle

Nous avons tous une expérience différente des langues que nous parlons. Chaque personne a une histoire propre avec la langue étrangère parlée ; différents facteurs doivent donc être pris en compte.

 

Apprendre une nouvelle langue

Faisons un saut dans le temps et revenons à l’époque à laquelle vous avez commencé à apprivoiser votre L2 ou votre L3 (vos langues étrangères). Selon une étude menée en 2012 par Jean-Marc Dewaele et Seiji Nakano, de l’université de Londres, l’ordre chronologique d’acquisition d’une langue a un impact direct sur l’aisance avec laquelle on s’exprime dans celle-ci. L’une des conclusions de cette étude indique que plus l’on est âgé lorsque l’on parvient à maîtriser une langue, moins on se sentira à l’aise dans celle-ci.

Directrice commerciale chez TextMaster depuis quelques années maintenant, Judith vient de Cologne et vit en France depuis 10 ans. Pourtant, elle ne se sent pas aussi à l’aise avec ses clients français qu’avec ses clients allemands. Elle a l’impression de perdre sa crédibilité face à ses clients ou collègues français car, selon elle, nous, Français, sommes très critiques par rapport à notre langue et peu enclins à reconnaître les efforts qu’elle fait. Un jour, lors d’une négociation difficile avec un client, elle a confondu les mots « mitigé » et « mijoté »… Si elle en rit aujourd’hui, à l’époque, elle a senti l’atmosphère changer et a eu le sentiment de ne plus contrôler la situation !

Au regard de l’étude mentionnée ci-dessus, il semblerait que Judith soit légèrement plus « fragile » en français car elle a appris la langue lorsqu’elle avait une vingtaine d’années. A contrario, Victoria, directrice marketing du groupe Acolad et compatriote de Judith, a appris le français plus tôt car elle a passé quelques années en France lorsqu’elle était adolescente. Parler français ou allemand ne fait aucune différence pour elle, elle est aussi à l’aise dans une langue que dans l’autre !

 

 

L’expérience prime

L’âge n’est pas le seul facteur qui influence notre comportement lorsque nous passons d’une langue à l’autre. L’étude menée par Jean-Marc Dewaele et Seiji Nakano montre également que le contexte dans lequel nous avons appris la langue joue un rôle important dans la façon dont nous communiquons.

À travers une étude menée en 2006, Nairan Ramirez Esparza, ancienne assistante d’un professeur de psychologie sociale à l’université du Connecticut, se penche sur l’importance du contexte. Dans l’une de ses études, elle a demandé à des participants mexicano-américains d’effectuer un test de personnalité en anglais et en espagnol. L’étude démontre que lorsque les participants se décrivent en anglais, ils évoquent leurs objectifs personnels et leur plan de carrière, alors qu’en espagnol, ils parlent davantage de leurs amis et de leur famille. Cela peut s’expliquer par le fait qu’ils utilisent l’espagnol dans un contexte familial, alors que l’anglais est la langue parlée à l’école et au travail.

 

Les aspects culturels

Selon Nairan Ramirez Esparza, « une langue ne peut être dissociée des valeurs culturelles qui y sont liées ». Pour reprendre l’exemple des Mexicano-Américains ayant participé à l’étude, il est clair que la façon dont ils se présentent est liée aux valeurs culturelles de chaque pays, les États-Unis étant connus pour porter des valeurs plus individualistes que le Mexique. Il semblerait que lorsque l’on parle une autre langue, notre perception de la culture à laquelle elle est associée nous influence.

 

Des habitudes et des comportements

Lorsque l’on apprend une langue en s’immergeant dans le pays ou dans la culture, on a tendance à adopter les habitudes et parfois à imiter les réactions des natifs. Il n’est pas évident de mettre des mots sur ces sensations !

Prenons l’exemple de David : ce développeur américain vivant à Paris a remarqué que, lorsqu’il s’exprime en français, il se plaint davantage. Pourquoi ? Parce qu’il a appris le français en arrivant à Paris et, ce faisant, il s’est également imprégné de la culture. Au-delà de l’apprentissage de la langue, il a intégré les habitudes des Français et, soyons francs, nous plaindre est notre sport favori ! La personnalité de David ne change pas, il reproduit seulement ce qu’il a observé.

Cependant, nous ne sommes pas obligés d’imiter ce que nous voyons et décider de faire l’exact opposé. Pour Fenne, une Hollandaise qui travaillait en tant que chef de projets chez TextMaster, les Français interagissent de façon bien trop formelle au niveau professionnel. Ayant toujours considéré cela comme une perte de temps et d’énergie, elle a décidé d’aller à contre-courant. Lorsqu’elle écrit ou parle en français, elle est généralement très directe et adopte une attitude plutôt décontractée – ce qu’elle ne fait pas forcément lorsqu’elle parle sa langue natale. Si l’équipe française la trouve très directe, ses compatriotes ne partagent pas forcément cet avis !

 

Entre langues et usages, on s’emmêle les pinceaux !

Comme nous l’avons expliqué plus tôt, une langue ne vient pas seule : culture et us et coutumes la composent. Lorsque l’on passe d’une langue à l’autre, on a tendance à s’adapter à la culture et aux codes associés à cette langue… Enfin, pas toujours ! Il peut arriver, pour des raisons diverses et variées, que nous conservions les usages de notre langue maternelle lorsque nous nous exprimons dans une langue étrangère, et inversement. Cela explique, entre autres, que l’on ne réussisse pas toujours à nous faire comprendre comme on le souhaiterait !

Prenons l’exemple du « tu » et du « vous ». Dans la plupart des langues, la différenciation entre ces deux pronoms n’existe pas. Dans certaines langues, comme l’espagnol, la distinction (tu et usted) se fait mais elle est seulement utilisée dans des situations particulières. Si, par le plus grand des hasards, vous vous retrouvez nez à nez avec le roi d’Espagne, vous utilisez le pronom très formel « usted ». En français, en revanche, il est très courant d’utiliser le vouvoiement. Ces différences culturelles peuvent donc provoquer une certaine confusion. Lorsque nous, Français, nous exprimons en espagnol, nous avons tendance à utiliser « usted » lorsque nous rencontrons de nouvelles personnes, ce qui crée généralement une situation relativement étrange !

Pour rédiger cet article, nous avons interrogé dix personnes utilisant leur L2 ou L3 tous les jours dans leur cadre professionnel. Neuf d’entre eux affirment avoir conscience qu’ils donnent une impression différente d’eux-mêmes lorsqu’ils ne s’expriment pas dans leur langue maternelle. Ayant grandi dans un environnement bilingue, seule Victoria n’a pas ce ressenti. Tous ont l’impression d’être davantage influencés par leur expérience personnelle de la langue étrangère qu’ils parlent que par la culture liée à cette langue. Ils constatent également que le fait de parler une autre langue va bien au-delà des mots.

Les attitudes, les sentiments exprimés et les perceptions culturelles contribuent à donner cette impression de changement de personnalité lorsque nous nous exprimons dans une autre langue. Il est vrai que notre façon de communiquer change et que nous ne contrôlons pas toujours l’image que nous renvoyons mais notre personnalité, elle, reste intacte. Si vous manquez d’assurance dans une langue, il est possible que vos interlocuteurs vous perçoivent comme une personne humble ou peu sûre d’elle, mais gardez ça en tête : ils n’ont face à eux que la facette de votre personnalité que vous laissez transparaître dans cette langue !